Les 3 clés d'or de Prague

Peter Sis, Grasset jeunesse, 1998


 Présentation de cet album
dans le document d’accompagnement des programmes

L’œuvre de Peter Sis dialogue avec l’enfance et ses territoires, avec le monde réel et les mythologies qui le fondent.
Les Trois Clés d’Or de Prague est une œuvre complexe qui conduit à une exploration du passé à travers le parcours labyrinthique des souvenirs de l’auteur dans la mémoire de sa ville.
- Complexité
La complexité de cet album tient à l’usage extrême qu’il fait du sens étymologique du mot texte qui signifie tissage (textus), organisant une trame très serrée entre les mots et les images.
Est complexe ce qui peut se distinguer sans se dissocier.
- Tissages
Rappeler aux enfants que leur propre lecture est une activité de tissage entre des données externes au texte et des données internes au texte.

 




     

 Des fragments à l'ensemble

Des fragments à l’ensemble
Si l’album de Peter Sis est effectivement complexe, divers textes, entourant l’œuvre, apportent quelques pistes qu’on peut choisir d’étudier avant de se lancer dans l’histoire. Cette tentative permettra de :
- construire les informations extérieures au texte, actives pendant sa lecture,
- attirer l’attention du lecteur sur l’importance de ces écrits environnant le texte.
- Les seuils du texte
- La couverture est la première vitrine du livre : elle cache et révèle en même temps.
- La 4ème de couverture oscille entre résumé du livre (centrage sur l’histoire) et extrait (centrage sur l’écriture). Ouvertes de façon à être côte à côte, couverture et 4ème de couverture apportent parfois un sens supplémentaire.
- Les pages de garde, les pages de titre sont (parfois) elles aussi porteuses de sens ou d’interrogation du sens.
- La préface, la postface sont des textes qui « illustrent » le texte, au sens qu’ils l’éclairent.
- La dédicace, l’exergue ou les jeux avec l’ISBN etc. peuvent aussi intervenir dans la construction du sens.
Il arrive que tous ces éléments soient plus ou moins significatifs avant la lecture mais, la plupart du temps, c’est après la lecture qu’ils révèlent l’essentiel de leur sens.
Avant la lecture, ils mettent en route le questionnement, ils ouvrent l’horizon d’attente.
- Clés de lecture
- Trois documents
- Un texte de Dominique Fernandez (1) présente la ville et donne quelques clés (personnages célèbres de Prague, ambiance...)
- La lettre préliminaire, du père à sa fille, offre le mode d’emploi du livre : percer l’énigme d’une ville à travers trois de ses légendes.
- Le texte final, épilogue, s’arrête sur la valeur symbolique de la clé d’or : « Janus, le dieu des portes chez les Romains avait une clé d’or comme Saint-Pierre qui détient celle du Paradis. (...) Deux clés sont offertes aux visiteurs importants. Trois aux visiteurs exceptionnels. »
- Trois types de lecteurs et de lectures
- La petite fille, à qui ce livre est dédié, est exceptionnelle. à Madeleine2, l’auteur écrit : « Je pourrais te donner des dates, te faire un peu d’histoire, mais toi seule décideras de ce que tu veux savoir », invitant le lecteur à trouver son propre positionnement.
- Le lecteur peut aussi, comme dans un documentaire, s’intéresser à la découverte de la ville suivant ses plans, ses cartes, reconstruisant de mieux en mieux son histoire à travers ses traces obscures ; un chat noir sera un indice de temps et d’espace dans ce type de lecture.
- Le lecteur peut encore s’intéresser à la fable, sa construction par l’écriture et le dessin : le noir du chat, symboliquement, le conduira alors dans cette recherche de type interprétatif.
Auteur de fiction, l’auteur fournit tous les éléments nécessaires aux trois lectures (3), il offre des pistes en même temps qu’il les brouille, il sème des indices dans des méandres de sens où, parfois, des repères sont posés. Au lecteur de bien observer, de percevoir ce qu’il cherche, d’isoler, de mettre en relation, de faire une synthèse (donc un classement) des multiples émotions ou sensations qu’il aura ressenties, de cheminer dans les obscurités construites.
- Exemples : quand le narrateur, un peu éberlué, atterrit sur la place d’une ville inconnue, il se trouve sur la patte avant du chat (figuré dans le plan de la ville). Il devra aller jusqu’au bout de sa queue pour atteindre sa maison.
Des phrases d’auteurs célèbres (Gide, Camus...) apportent les références de ces hommes qui voyagent, carnet de notes en poche.
La devise de la ville « Praga caput regni » est cachée dans le livre, sur un globe terrestre et sur trois images.
- Modalités
Comment faire entrer les élèves dans cet album, complexe et ambigu ?
- Le titre, les illuminations dorées, roses et noires avec une tête de chat en surplomb conduira vers le conte : on sait la valeur rituelle des trois souhaits dans ce genre de récit.

- Les jeux du texte
Le travail sur les trois documents : le prologue / la lettre / l’épilogue
-Les projets de lecture
Le prologue fait entrer dans la ville (compétences de base). La lettre fait entrer dans le projet du narrateur (compétences approfondies). L’épilogue fait entrer dans la lecture interprétative (compétences remarquables).
En groupes, les élèves peuvent étudier ces documents et voir ce qu’ils apportent à la compréhension du texte :
Le texte de Dominique Fernandez propose des pistes de recherche :
- les hommes célèbres : qui sont-ils ?
- le pont Charles, la Vlatva, l’horloge, la Bohême...
- l’Histoire (quarante ans de dictature...)
La lettre de Peter Sis à sa fille propose un retour sur une ville d’enfance :
- elle n’est pas née et ne vit pas dans la ville natale de son père
- c’est une ville où son père jouait, sensible aux cloches, il y a un chat, les maisons ont un cœur...
- la ville n’est ni baignée d’océans bleus, n’est ni une île verte ni une métropole bruyante (quelle autre ville se cache sous cette description ?)
L’épilogue interroge autant qu’il éclaircit le titre :
- la clé a une valeur symbolique (protection et sécurité). Pourquoi ici ?
- les clés d’Or sont attribuées aux divinités (une clé), aux personnalités importantes (deux clés) aux personnalités exceptionnelles (trois clés). Discussion de qui est exceptionnel ici. (La clé d’or est un conte très court et très énigmatique de Grimm).
La courte biographie de l’auteur offre une autre clé de lecture. Après avoir travaillé ces trois textes, la lecture collective de l’album permettra de réinvestir les informations glanées.

 

 












     

 Du titre aux éléments

Du titre aux éléments
Route de la mémoire, entrelacements du souvenir, le livre plonge son lecteur dans une conversation entre père et fille via une lettre qu’il lui adresse : « Tu es née à New York, dans le Nouveau Monde, et un jour, tu te demanderas certainement d’où venait ton père. Ce livre est là pour te l’expliquer. » Un chat noir sert de guide à ce récit autobiographique lui donnant une tonalité fantastique. Roses, verts, bleus, les souvenirs se succèdent et se superposent. 
- Présentation de l’histoire
Le narrateur atterrit, par un jour de tempête, sur une mont-golfière, dans une ville hérissée de tours, sur une place déserte où tout lui rappelle son enfance.
Carte de la cité sur la page de titre, approche par un plan de coupoles et de tours, zoom sur le centre jusqu’à une place qui se fond à nouveau dans un labyrinthe4 de ruelles où les maisons semblent organisées selon les règles d’un jeu de construction : la ville se livre d’abord par ses représentations graphiques, les angles de vue privilégiés du géographe.
Le narrateur, redevenu enfant, arrive devant une maison, sa maison, fermée par trois cadenas. Sur sa façade se superposent des visages, des corps, des regards, un dragon mystérieux tandis que les volets clos semblent enfermer le passé.
- Dans l’hiver, période contrastée de froid et de fêtes, le chat se glisse parmi les jeux d’extérieur et les regroupements intimes au creux du foyer chaleureux. Les signes du zodiaque et leurs cercles s’impriment sur la mémoire de cette première saison (toutes y seront mais en désordre : hiver, été, automne, printemps).
Sur le chemin du château se trouve la bibliothèque, majestueuse, lieu des premiers plaisirs du narrateur et de la mémoire collective : le bibliothécaire, sorti d’un tableau d’Arcimboldo, peintre italien qui mourut à Prague et - nous dit le prologue - auteur d’un portrait de l’empereur Rodolphe, lui donne la première clé attachée à un parchemin qui révèle la première légende (5) (trois légendes accompagnent les trois clés) : d’abord, c’est la légende du chevalier Bruncvick qui se déroule en 24 étapes (Peter Sis a été cinéaste), reproduites autour du texte en autant de vignettes.
- L’été, brusquement, succède à l’hiver sur fond vert. Seuls les jeux d’extérieur et les cours de piano resurgissent, ainsi que les goûters. à chaque fenêtre des maisons qui bordent la ruelle tortueuse, des visages apparaissent mais le parcours s’arrête au jardin dans lequel Arcimboldo est toujours présent : c’est dans les mains de l’empereur représenté que se trouvent la deuxième clé, le deuxième parchemin et la deuxième légende : celle du Golem (6), toujours organisée de la même façon, en 24 paragraphes, illustrés tout autour de 24 vignettes.
- L’automne succède à l’été et traîne, dans ses brumes, les jours déclinants, les lumières citadines ou domestiques, l’odeur de pommes et les cerfs-volants. La troisième halte se fait sous le dôme d’un bâtiment qui abrite la vieille horloge, l’Orloj, celle qui indique les fuseaux horaires, la position de la Lune et du Soleil, le jour, le mois, l’heure du lever et du coucher du soleil ainsi que les signes du zodiaque. Un homme, d’un pas mécanique (trois hommes se sont succédé, l’un était de papier, l’autre de plantes, le dernier de métal), lui offre la troisième clé et la troisième légende, celle de maître Hanouch, savant expert en magie et en mécanique.
- C’est le printemps : au-dessus de l’horloge s’élève Brunkvic et son cheval. Les brumes n’ont pas encore tout à fait quitté la ville, la lumière revient doucement sur un ciel d’une clarté appuyée : Pâques est là.
Dans les flots de la Vlatva, un char porte la mention 68 et les maisons sont devenues des pierres tombales.
La maison familiale a, des deux côtés de sa porte, des sculptures qui ont abandonné leurs glaives pour des fleurs et le foyer familial s’ouvre sur un décor paisible qui laisse entendre une conversation ordinaire : la mère invite (comme autrefois ?) l’enfant à aller se laver les mains avant de passer à table. Mais l’auteur nous surprend en faisant suivre cette invitation maternelle d’antan, d’une parole bien actuelle, destinée à Madeleine (la fille de Peter Sis) : « Madeleine, allons nous laver les mains, le dîner est servi. » Est-ce un rêve que ce testament d’enfance (comme le suggère la petite phrase à côté du chat derrière la page de titre : Thank you for a dream.) ? Est-ce la vraie Prague que nous avons visitée ? C’est au lecteur de décider.
Consulter deux sites qui exposent un travail sur cet album :
www.afl.org (Alberta Federation of Labour) et www.inrp.fr/onl/accueil.htm

   
     

 Interview

Interview
Interview réalisé par Dominique Saitour, conseillère pédagogique, auprès d’élèves de CM2 qui ont lu l’album, seuls, pas de lecture en classe avec le groupe. École Aimé Legall à Mouans Sartoux (06) / Le 5/04/05. à faire lire à d’autres élèves.
- Bastien : C’est l’histoire d’une personne qui se retrouve dans sa ville transformée, il retrouve les 3 clés pour que la ville redevienne normale.
Je n’ai jamais lu un livre avec autant de dessins et une histoire si originale, j’aime les histoires en général et plus particulièrement les histoires fantastiques. Les 3 histoires au milieu (les 3 légendes) n’ont aucun rapport entre elles. Je n’ai pas bien compris pourquoi. Celle que je préfère est l’histoire de l’horloge, pour chaque phrase un petit dessin autour du texte. Raconter l’histoire d’une horloge, ce n’est pas courant.
En regardant la couverture, je n’aurais jamais pensé que ça pourrait être ça, on pense à un labyrinthe. Le sens de l’histoire m’a un peu échappé. C’est mystérieux, d’abord une montgolfière, des clefs et à la fin tout se rejoint.
La plupart du temps les auteurs ne sont pas là où ils sont, ils inventent un monde mais là, c’est un vrai endroit. Mon image préférée est celle où on voit des têtes d’animaux sur les murs des maisons.
- Perrine : C’est fantastique, les murs des maisons avec les personnages qui aident le garçon à retrouver les 3 clefs. Les textes sont beaux, je n’ai jamais lu de livre comme ça avant.
C’est quelqu’un qui cherche 3 clefs pour rentrer chez lui, il arrive en montgolfière et il retrouve les 3 clefs. Ce livre me fait penser un peu à La nuit du loup, c’est un roman, c’est une histoire extraordinaire.
Pour que d’autres le lisent, je dirais que c’est un peu une aventure « de chercher des clefs ».
Dans les classes, on pourrait faire des rédactions, raconter d’une autre façon, avec plus de joie et de bonheur. Dans le livre, il y a surtout de la tristesse, c’est juste à la fin qu’il trouve du bonheur. Moi, ça ne me gêne pas les livres tristes.
J’ai surtout aimé chaque moment où il retrouve les clefs et surtout la dernière clef. La page préférée, c’est « le chat labyrinthe », d’abord je n’avais pas vu que c’était un chat, ensuite j’ai vu la tête alors j’ai cherché... c’est mystérieux.
Une autre page aimée, c’est celle où des fleurs et des fruits se cachent dans un personnage.
- Vincent : Dans ce livre il faut bien regarder parce qu’il y a beaucoup de détails précis. J’ai été attiré par le détail des dessins et le texte poétique, sa façon de s’exprimer, comment il raconte.
C’est un peu un livre d’art, on dirait que ce sont des tableaux, c’est original, on ne voit pas ça tous les jours. Ce livre me fait penser aux livres d’art avec des photos d’œuvres d’artistes, on ne comprend pas toujours ce qu’ils ont voulu faire. Quand on ne sait pas trop ce que l’auteur a voulu dire, ça laisse une idée fantastique.
Le bibliothécaire, je crois que je l’avais déjà vu dans un livre (ndlr : Arcimboldo). Je ne me rappelle plus de l’histoire mais il remplit le cerveau d’imagination, c’est magique. J’ai surtout cherché ce qui se cachait dans les détails des images.
à la page, où on aperçoit le chat dessiné dans les rues de la ville, au bout de la patte du chat, il y a la montgolfière et le garçon et à l’autre bout si on suit le chemin, on trouve sa maison.
C’est un livre qui fait réfléchir. Si je l’avais lu avec le maître, en classe, à plusieurs on aurait cherché, on aurait peut être mieux compris. Sur la double page où on voit toute la ville sombre, il est écrit : « Chaque maison, chaque fenêtre, le moindre pavé ont une histoire. » J’ai cherché des détails sur cette page mais je n’ai pas trouvé les histoires.
- Marlène : Je n’ai pas bien compris l’histoire, sur les images il y a beaucoup de chats. J’ai beaucoup aimé les images, les couleurs, le rouge, le gris. La page que je préfère est celle du jardin pour le vert et les plantes. C’est une belle histoire qui sort de l’ordinaire, un peu fantastique.
Quelquefois, on peut avoir peur. à la page du dôme, on ne voit que l’ombre qui arrive dans l’escalier, c’est un peu effrayant. Même le texte de cette page fait peur : « Nous nous retrouvons sous un dôme mystérieux au milieu d’une collection d’objets bizarres qui scintillent immobiles, figés pour l’éternité. »
- Arnaud : Beaucoup de chats dans ce livre, je me demande si c’est une histoire vraie.
Il écrit ce livre pour sa fille Madeleine, c’est un peu un journal de bord qu’il donne à sa fille en héritage. J’aime beaucoup les livres sur la mythologie, les contes. On trouve beaucoup de choses intéressantes dans les 3 contes, 3 comme les 3 clés.
On peut connaître la ville de Prague, c’est une ville qui a été attaquée...je l’ai compris à cause des tombes à la page rouge.
En commençant le livre j’ai d’abord regardé la carte et j’ai lu la lettre. En ouvrant le livre au hasard, je suis tombé sur la page du bibliothécaire, on se pose des questions, on ne sait pas très bien, il faut relire les phrases.
C’est un peu triste parce que la ville est belle et ensuite on la voit changée, il y a les tombes, la maison de l’enfant a disparu et à sa place un cœur rouge dans un cercle...
- Estelle : J’ai beaucoup aimé, c’est très beau. C’est l’histoire d’un petit garçon qui se retrouve dans une ville de son enfance, il retrouve son ancienne maison, il recherche 3 clefs d’or pour ouvrir la maison. Il trouve les parchemins avec les clefs.
C’est bien écrit avec de « grands mots », c’est-à-dire des mots qu’on n’utilise pas souvent, on ne les trouve pas partout, ce n’est pas un livre ordinaire. La couverture m’a intriguée : la grande pendule, les maisons grises, je n’ai jamais vu une ville aux maisons aussi serrées.
Ce livre raconte beaucoup de choses, c’est poétique et chaque clé a son histoire. C’est une histoire émouvante de se retrouver pile dans la ville de son enfance, rien n’a changé, il retrouve tout.
La page que je préfère est celle où il traverse un pont en compagnie d’un chat, tout est bleu le pont passe d’un bord à l’autre de la page et en traversant il pense qu’il l’a déjà traversé. Ça me plairait de retrouver ma maison vingt ans après. C’est triste d’être dans une ville désertée mais c’est gai de retrouver sa maison, son lieu d’enfance. L’histoire dit qu’on peut partir quelques jours, des mois, des années, on peut retrouver la ville ou le village tel qu’il était, on retrouve tous les bonheurs qu’on a vécus. Même si on vieillit, ça rend heureux de retrouver les gens qu’on a aimés. Le hasard peut aider, peut conduire là où on voulait. Dans ce livre, le hasard, c’est la montgolfière.